22/09/2010

ALBUM DU MOIS / Août 2010


ARCADE FIRE - The Suburbs
(mercury/universal)



Grandir sans gonfler, mûrir sans pourrir, ne pas perdre le fil mais ne pas s’enfermer dans sa propre caricature, ces enjeux doivent tarauder bien des aspirants aux lumières de la gloire durable et ont manifestement stimulé ARCADE FIRE. Mais là où nombre de ses contemporains suent sang et eau pour négocier ces virages sans froisser trop de tôle dans la manœuvre, le groupe slalome aujourd’hui entre les obstacles avec une aisance confondante, après avoir frôlé le tête à queue en 2007 (album monstrueux, tournée chaotique). Win Butler, Régine Chassagne et leurs amis se sont donnés du temps pour recharger les batteries et renouer avec le fil d’une inspiration supérieure, embobiné aujourd’hui sur un canevas dont les motifs et les couleurs n’ont jamais été aussi éclatants et variés.

Comme sur 'Funeral' (2004), ARCADE FIRE redessine les contours de l’enfance et d’une jeunesse évanouie, mais en renversant cette fois complètement le point de vue : leurs premières chansons adoptaient la vision brûlante et naïve des enfants, leurs nouvelles ont le goût des questionnements et de la nostalgie des adultes, profondément inscrites dans les paysages urbains qui les ont vu grandir, ceux des banlieues américaines saturées de lotissements, jonchées de centres commerciaux. Le groupe a l’intelligence d’inscrire ses chansons dans une thématique globale et des images fortes, qui parlent immédiatement à chacun d’entre nous, tout en collant à des sensations et des sentiments très personnels, formulés dans une langue à la fois limpide et opaque. Les textes sont souvent d’une beauté renversante mais quelque chose résiste toujours à une lecture trop simple, quelque chose comme une poésie nouée, qui frappe à la fois par la fulgurance de ses formules et la puissance de ses images (“If the businessmen drink my blood like the kids in art school said/Then I guess I’ll just begin again/You say, can we still be friends?/If I was scared, I would/And if I was bored, you know I would/And if I was yours, but I’m not/All the kids have always known that the remperor wears no clothes but they bow down to him anyway/Cause it’s better than being alone, sur l’immense 'Ready To Start').

Mais le plus beau morceau du disque est aussi celui qui déroule le texte le plus narratif : 'Suburban War' est le récit bouleversant d’un paysage amoureux et amical qui se craquèle et se dessèche, imprégné d’une nostalgie désenchantée d’une adolescence bravache où l’esprit de clan unit contre le reste du monde. L’utilisation de vers empruntés à une autre chanson ('The Suburbs', premier titre composé et matrice de l’album) accentue le sentiment du souvenir obsédant, de l’image durablement imprégnée. L’ennui est aussi au cœur de chansons qui saisissent comme rarement quelques étincelles de l’adolescence, un peu du feu qui a pris et le goût de cendres qui en reste, sans regrets (“If I could have it back/All the time that we wasted/I’d only waste it again). Musicalement, ARCADE FIRE frappe un grand coup. 'The Suburbs' est un disque ample, mouvant, ambitieux, long en bouche, étonnamment fluide, parfois même léger, traversé par des réminiscences synthétiques des années 70 ou 80. Çà et là, on entend l’étonnante influence du Bruce Springsteen de 'Born To Run' (1975), comme sur 'City With No Children' ou la très pop et dense 'Modern Man'. Plus surprenant encore, 'Sprawl II' (Moutains Beyond Mountains) emprunte à Abba son déhanché lascif aux paillettes passées.

Mais si on peut remonter à la source de quelques inspirations, 'The Suburbs' trace les nouveaux contours précis et élastiques du style original et personnel d’ARCADE FIRE, qui se plie à toutes les fantaisies rythmiques et mélodiques, se fond dans des chansons très différentes : la cavalcade de guitares et synthés ('Ready To Start'), le vol de zeppelin psychédélique tout en guitares menaçantes, enluminures et chœurs baroques ('Rococo'), la tempête new-wave avec orage électromagnétique ('Half Light II'), le tricotage lumineux d’arpèges de guitares mélancoliques ('Suburban War'), la décharge punk ('Month Of May'), la tuerie pop absolue à écouter et fredonner en boucle avec piano entêtant ('The Suburbs', le single 'We Used To Wait'). Si le son semble parfois plus clair, notamment sur les morceaux les moins saccadés, ARCADE FIRE n’a renoncé à aucune pièce de son puzzle orchestral ni à son goût pour les orchestrations faramineuses et les agencements à double tour : plusieurs chansons sont en deux parties ou semblent se répondre d’un bout à l’autre du disque, comme un dialogue nourri du groupe avec lui-même. Un dialogue qu’il prolonge avec nous, comme une longue conversation intime et animée, émaillée de souvenirs de jeunesse, de digressions électriques, de rancœurs, d’espoirs, de secrets échangés et de déclarations d’amour.

Par Vincent THEVAL (magicrpm)



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